Dans la continuité des articles sur les Yamas (règles en société) et les Niyamas (règles personnelles), voici le deuxième volet sur Ahimsa: la non-violence par rapport à l’autre, aux autres et au monde extérieur.
Comme vous le voyez (et comme l’écriture m’a permis de m’en rendre compte moi-même), ce sujet me tient à cœur… Pour ne pas dispenser trop d’information d’un coup, je publierai la fin de ce deuxième volet dans le prochain article.
Nous et notre relation au monde, à l’autre
[…] Ahimsa consiste à ne pas nuire, en pensées, en paroles et en actes. Ahimsa se pratique avec soi-même, avec les autres – son conjoint, sa famille, au volant, au bureau, … -, dans l’alimentation et l’hygiène de vie, dans sa relation à l’environnement […]
La sensation du «moi», la sensation d’être un individu séparé du reste du monde, s’appuie sur ce que nous percevons de l’extérieur: nos sensations, nos perceptions, nos interprétations. Or nous le savons bien pour en faire régulièrement l’expérience, nos perceptions ne sont pas toujours fiables:
- Nous sommes limités aux informations que nous fournissent nos sens, à nos connaissances passées, à nos déductions logiques.
- Mais encore, toutes ces informations et perceptions reçues du monde extérieur sont tronquées, voilées, ou déformées, transformées malgré nous:
- par nos émotions, voire même nos blocages, résultats de souffrances passées;
- par nos projections: face aux faits extérieurs, nos déductions sont parfois partiellement, voire totalement fausses, ou même irrationnelles; elles sont le résultat des scories émotionnelles.
- notre finitude; par exemple, nous n’avons ni la vue aiguisée de l’aigle qui plane, ni la faculté de lire les pensées, ni le don d’ubiquité, …;
A propos des projections
Face au « moi », fini et vulnérable, le monde est immense, varié, imprévisible et donc potentiellement dangereux.
Le moi, que l’on peut appeler Ahamkara (le sentiment d’ego, d’individualité), a besoin de se rendre le monde compréhensible.
Pour cela, Ahamkara se résout à s’expliquer à lui-même le monde et les autres.
Et c’est ainsi que nous avons tous la propension innée, naturelle, à nommer, à projeter et, étape suivante, à juger. Cette propension est fille du sentiment d’insécurité et de l’absence de confiance dans ce monde et dans les autres.
Les autres sont eux aussi des citadelles de l’ego, d’autres Ahamkara qui fonctionnent comme le nôtre. Chacun dans sa tour d’ivoire, nous observons l’autre par les fines meurtrières que sont nos sens. Nous sommes à l’affût de toute agression. Nous observons et nous comparons.
Nous développons:
- l’attraction (Raga): la sympathie, l’amitié, l’amour, la compassion; mais aussi: l’envie et la jalousie;
ou - la répulsion et l’aversion (Dvesha): la non-acceptation de la différence; le dégoût, la crainte, la peur; mais encore: l’agressivité, la haine et la violence physique;
NB1: Tout ce que nous voyons dans la citadelle de l’autre existe en nous, sinon, nous ne le verrions même pas. Ce sera là, un des thèmes du troisième volet sur Ahimsa et la relation à soi-même.
NB2: Notons encore que le Jivanmukti, le «libéré vivant», celui qui a réalisé l’état d’union qu’est le yoga, s’est libéré du carcan de l’ego et n’a donc plus besoin de citadelle. Il voit le monde dans un sourire paisible et équanime.
Un inconfort intérieur
La violence manifestée résulte donc d’un inconfort intérieur profond. La violence c’est « méchanceté contre méchanceté ».
La théorie de Maslow, illustrée par sa fameuse pyramide, démontre que, pour se défaire de cet inconfort intérieur qui nous habite, de cette insatisfaction, il faut répondre à nos besoins essentiels, des plus basiques aux plus élevés:
Les besoins les plus basiques nous sont commandés par l’intelligence du cerveau reptilien, les suivants par Manas (le mental et les émotions), les plus élevés, dont le besoin d’accomplissement spirituel, par Buddhi, l’intelligence supérieure.
Même une fois tous les autres niveaux de besoins – physiologiques, de sécurité, d’amour et d’appartenance et de reconnaissance – satisfaits, l’être doit encore répondre à son besoin de réalisation personnelle.
Le yoga propose les moyens de parvenir à l’accomplissement personnel au plus haut degré: la réalisation spirituelle.
La violence vis-à-vis du monde
La violence s’exprime à différents degrés. De l’intérieur de la «citadelle» du moi, vers l’extérieur, il y a:
- la pensée violente, l’intention;
- la communication violente;
- l’acte violent;
- l’indifférence ou la non-action violente.
Nous sommes des êtres civilisés, éduqués. Pour vivre en société, nous apprenons le plus souvent à détourner notre violence. Ce n’est pas pour autant que tous nos contemporains font voeu d’Ahimsa. La violence s’exprime alors différemment, de façon pour le moins insidieuse.
En voici quelques exemples:
- la frustration et le comportement qui va avec. Cette frustration est le résultat d’un décalage entre la volonté violente et l’expression sourde que l’on s’en autorise;
- l’agression à tout va: certains s’énervent pour un rien, car tout devient sujet à énervement dans une société qui va vite, où tout se dit et, paradoxalement, où il est difficile de s’exprimer profondément. L’agressivité du conducteur ressemble à ce niveau à un défouloir;
- l’impatience, le manque d’écoute, la moindre disponibilité. Nous sommes tous des personnes très occupées, «bookées». La vie actuelle nous offre de multiples opportunités de (trop) nous occuper et de nous absorber. Nous courrons vers des occupations qui comblent souvent un inconfort intérieur. Alors, il reste peu de temps et d’écoute pour les autres, pour l’autre;
- la violence à distance ou par intermédiaire: actions en justice entre voisins pour un bébé qui pleure, une haie un peu haute, …;
- les piques, les petites mesquineries et autres règlements de comptes «civilisés»;
- distanciation par la non action: le monde comporte des injustices à tous les coins de rue et sur tous les médias. Les exclus et les SDF, les conflits armés, les catastrophes naturelles, la faim dans le monde, … Il devient difficile de se sentir concerné et sensibilisé par tout et tous. Dans un fatalisme ambiant, il se développe alors une accoutumance à la souffrance et à la violence. Cela devient normal.
- l’aquoibonisme: Par exemple: «Le monde est fichu, alors à quoi bon trier mes déchets et réduire ma consommation d’énergie?».
Alors quoi faire? Comment être?
Il n’y a pas de recette miracle, mais des pistes à suivre. Ce sera la thème de la suite de cet article…
Gandhi écrivait à propos d’Ahimsa: «ce n’est nullement le refus de tout réel affrontement avec la méchanceté. C’est au contraire, dans sa conception, une forme de lutte plus active, plus réelle en tout cas que la riposte violente, dont l’essence même est d’accroître la méchanceté (…) La non-violence est une force active de l’ordre le plus élevé. C’est la force spirituelle, le pouvoir de Dieu en nous. Nous participons de la divinité dans la mesure où nous réalisons la non-violence». […]
Sources:
Photo d’Inde: merci à Mireille Saliba de m’avoir partagé ses photos de voyage!
Image de la pyramide de Maslow: http://fr.wikipedia.org/wiki/Pyramide_des_besoins.
OUI, ce qui est écrit est assez juste! » La violence résulte d’un inconfort intérieur profond ». Je n’ai jamais vu une personne épanouie et en accord avec elle-même faire preuve de violence.
La frustation est dans mon cas l’expression la plus courante de violence;) Et dans mon entourage également.
Sans doute liée à un manque de sagesse, d’acceptation de ce que nous pouvons modifier et de ce que nous devons accepter.
Débutante en méditation, celle-ci m’aide à accepter mon flux de pensées et à connaitre plus intimement la raison de cette expression de violence.
J’attends avec impatience le troisième volet et si vous en avez des références pour approfondir!;)
MERCI!
Très beau thème que Ahimsa !
Comme Anna j’attends la suite avec impatience…Cette violence est présente en chacun de nous, nous devons la pister à tout moment pour atteindre l’équanimité.
C’est toujours un plaisir de vous lire, Michèle.
Article très intéressant qui nous permet de comprendre pas mal de choses sur nos relations avec l’autre… et le monde
Je souhaiterais pratiquer le yoga. J’habite au sud de Dinan et je cherche des cours hebdomadaires. J’ai découvers votre site, parmi d’autres, et j’ai passé la matinée à lire vos articles. Votre enseignement du yoga et la perception très approfondie que vous en avez, m’inspirent une grande confiance.
Malheureusement, vos cours et vos stages sont trop éloignés ou trop onéreux pour ma bourse. Serait-il envisageable pour vous, de proposer les années çà venir, un cours ou sinon un stage pendant les vacances scolaires, du côté de Dinan?
Ce serait une bonne nouvelle! En tous les cas, merci, pour vos articles très intéressants.
Joëlle LE NOAN
Bonjour,
J’ai été absente 3 semaines, d’où ma réponse tardive.
Je ne connais personnellement pas de professeur vers Dinan. Mais il me semble que Véronique Hardy (voir sur cette page: https://www.yogamrita.com/blog/liens/ecolesenseignants-de-yoga/) n’est pas très loin. Je ne connais pas son enseignement mais je sais qu’elle est une enseignante professionnelle.
Bien cordialement
Michèle
La violence est à la source une énergie.
Elle va apparaitre et se teinter en fonction de la cause qui l’a révèle.
On se doit alors de distinguer la violence qui nous pousse à toute sorte d’actes violents et tenter de voir là la démarche égotique qui en est la cause pour sortir des souffrances de notre personnage.
On peut aussi voir que cette énergie à quelque chose de beau quand on va dire à quelqu’un un peu apathique : « Mais fois toi un peu violence » et c’est là où le Yoga trouve sa place, dans quelque textes il est bien dit que le Hatha Yoga est la voie violente du Yoga…
Enfin, attention à ne pas tenter de refaire ce que nous faisons depuis très longtemps, poussés par nos atavismes judéo chrétiens et voir dans Yama et Niyama une vision morale et éthique un peu trop poussée.
Le Yogi tente d’accéder à la lumière, il est dans une démarche forte qui serait un peu comparable à celle d’un sportif de haut niveau qui se donne un objectif précis. Le sportif fait tout pour avoir un corps et un mental sain et puissant mais il n’est dans aucune vision éthique ou morale pour faire cela si ce n’est, peut-être, une meilleure compréhension de la place qu’il a dans ce monde…
Bonne journée
Merci Denis.
En te liant m’est revenue cette phrase, à titre complémentaire à ton message:
«Si les rivières sont trop larges et notre élan trop faible pour les sauter d’un bond, construisons des ponts convenables, prenons de bonnes barques, voguons avec ardeur ou nageons. Mais ne restons pas en route, grisés par le plaisir de voyager, charmés par nos constructions et nos monuments, oublieux de la destination. Seule compte l’autre rive. Et pour nous apercevoir qu’il n’y a pas d’autre rive (car il n’y en a pas), il nous faut quand même atteindre l’endroit où nous pensons qu ’elle est. Là les ponts, les barques et la nage ne serviront plus à rien ; ils seront annihilés. Ils n’auront pas été.»
Jean Papin