Skip to main content

Cet article sur Yoga Cikitsa, la yoga thérapie, est écrit par Otilia Moreira, formatrice et professeure de Yoga, spécialiste du Yoga Cikitsa, qui intervient ponctuellement dans les stages et la post-formation Yoga et Ayurveda de Yogamrita. Plus d’information pour la contacter tout en bas de cet article.

Parmi les nombreux courants de yoga, une catégorie se distingue par sa dimension thérapeutique. Elle est parfois décriée du fait même de sa dénomination : la yoga thérapie. Est-ce une appellation marketing de plus ? Que représente concrètement ce type de yoga ou yoga Cikitsa (prononcer Tchikitsa !) et d’où vient ce terme ?

En puisant dans les textes de référence et dans la tradition, vous comprendrez qu’il s’agit d’un véritable système de soin prenant en compte l’unicité de chaque être. Allié à l’Ayurveda et aux notions de Prakṛti (constitution d’origine) et de Vikṛti (constitution actuelle), la yoga thérapie s’avère une pépite pour la santé !

Dans cet article :

  • Les quatre périodes de l’existence humaine
  • Le yoga adapté à l’individu
  • Les quatre premières étapes ou krama de la pratique
  • Yoga Cikitsa, le cinquième krama
  • La méthode de Yoga Cikitsa
  • Le sixième et dernier krama
  • Conclusion.

Les quatre étapes de l’existence humaine :

Plongeons dans la vision indienne. La condition humaine est faite pour vivre quatre périodes.

  • Tout d’abord – Brahmacarya – durant laquelle nous recevons l’éducation au sens large du terme, les études, la formation. Celle qui conduit vers la connaissance, vers Brahma.
  • Puis, le moment vient de s’établir – Ghastha – Nous devenons adulte, maître de maison, responsable de famille, engagé dans les affaires du monde et jouissant des plaisirs qu’il offre.
  • La troisième période – Vānaprastha – correspond à la pré-retraite, durant laquelle nous commençons à être à l’écart des activités du monde. L’idée d’être en lisière de la forêt et d’avoir la possibilité de retourner en ville.
  • Enfin, arrive la période de retraite, de détachement complet – Sanyasin – Nous sommes libérés des obligations professionnelles, familiales et sociales. Pour les Indiens, c’est le moment de se consacrer à la spiritualité et de devenir un moine errant.

Le yoga adapté à l’individu :

Selon cette pensée, le yoga ne peut être une pratique identique pour tous. Est-ce pour autant le cas ? Comment mettons-nous en place notre sadhana ?

Un texte dans l’histoire du yoga précise la manière de pratiquer selon les différentes étapes de la vie : « le Yogarahasya » ou le secret du yoga de Śri Nathamuni. Une traduction en français est proposée aux éditions Āgamat. Les enseignements qu’il contient auraient été révélés à Śri T. Krishnamacharya alors qu’il était en méditation.

Dans un article intitulé « l’héritage de T. Krisnamacharya » (Yoga Journal, mai/juin 2001), Fernandez Pages Ruiz fait l’éloge de ce grand yogi :

« Même si vous n’avez jamais entendu parler de Tirumalai T. Krisnamacharya, vous devez savoir qu’il a influencé, pour ne pas dire inventé, le yoga que vous pratiquez. Que vous ayez eu recours au enchaînements dynamiques de Pattabhi Jois, aux alignements raffinés de B.K.S. Iyengar, aux postures classiques d’Indira Devi, ou au vinyasa sur mesure de T.K.V. Desikachar, votre pratique vient d’une seule source : un brahmane d’un mètre cinquante-huit, né il y a plus de cent ans dans un petit village du sud de l’Inde ».

Son fils, T.K.V. Desikachar, a transcrit les enseignements reçus du Yogarahasya. Dans les deux premières strophes du chapitre intitulé VINIYOGADHYAYAḤ, Śri Nathamuni pose les bases d’un tel enseignement :

Śloka 1 :

yogagaviniyogartha kramamuddiśya vakyate /
adhyāyam viniyogākhya śrināthmuninā ’dhunā //

« maintenant, dans le but de présenter la façon correcte d’utiliser les différents aṅga (section) du yoga, Nathamuni présente ce chapitre intitulé Viniyoga adhyaya »

Ce chapitre concerne les enseignements du Viniyoga, un yoga adapté à l’individu, à son âge, ses capacités, ses besoins spécifiques. Cela fait référence aux six sections. Comprenez dans ce contexte les six krama ou six étapes de la vie.

Śloka 2 :

tridhā yogakrama prokta sṛṣṭisthityantabhedata /
aṣṭasvapitu yogāgevavadhāhye dudhaissadā //

« à la suite de longue réflexions, les sages ont proclamé que le yoga au huit aṅga peut être divisé en trois sortes de pratiques : sṛṣṭi krama, sthiti krama et antyaḥ krama »

La richesse du sanscrit nécessite de préciser que terme aṅga dans ce Śloka fait référence aux huit membres du yoga tel que Patañjali les décrit dans les Yogasutra chapitre II.29 à 55 & III.1 à 3 :

  • Yama, les attitudes vis-à-vis de notre environnement, savoir se tenir.
  • Niyama, les attitudes par rapport à soi-même, savoir se re-tenir.
  • Āsana, les postures pour être pleinement installé en soi et dans la vie.
  • Prāāyāma, respiration consciente pour animer l’âme en nous.
  • Pratyāhāra, retrait des sens pour mieux les transcender.
  • Dhāraā, la concentration, aptitude à diriger le mental.
  • Dhyāna, la méditation, un mental totalement en lien avec l’objet.
  • Samādhi, état d’absorption complète avec l’objet de méditation.

Les quatre premiers krama :

A présent, revenons à la notion de krama (étapes) plus en détail pour comprendre le lien avec la yoga thérapie et la replacer dans son contexte traditionnel. Selon la lignée de T. Krisnamacharya, il existe six façons de pratiquer le yoga. T.K.V. Desikachar, qui a vécu auprès de ce yogi, a développé sa pédagogie autour du concept de Krama : étape, stade.

Le premier krama – Sṛṣṭi – correspond à une période de construction qui peut aller jusqu’à 25 ans. Le but est donc de guider les enfants et les adolescents à améliorer leur flexibilité, leur force et à développer leur croissance de façon harmonieuse sur tous les plans : physique, physiologique, psychologique et émotionnelle. C’est le krama de référence lorsqu’on enseigne le yoga aux enfants et aux jeunes.

Le texte énumère 43 postures et des variantes à privilégier durant cette période de vie, du Śloka 13 à 21 : śirṣasana, sarvaṅgasana, vṛkṣāsana, piñcamayurasana, kukkuṭasana, padmasana pour en citer quelques-unes.

Compte tenu de la puissance de ces postures, une bonne santé est nécessaire, santé qu’il convient de maintenir avec le deuxième krama – Śikaa – La pratique de yoga à ce stade est orientée vers la perfection dans l’accomplissement des āsana, la maîtrise du Prāṇāyāma, des Bandha et tout autre outil du yoga. C’est un yoga idéal pour les jeunes adultes et par ailleurs très utile pour les enseignants de yoga.

Le troisième krama – Sthiti ou Rakaa – est une période avec beaucoup de responsabilités professionnelles, sociales et familiales. Il s’agit de passer la plus grande partie de son temps à gagner correctement sa vie afin d’accomplir son dharma.  C’est l’étape dans laquelle se trouvent la plupart des pratiquants de yoga. Ils souhaitent soulager leur stress et préserver leur santé afin de remplir leurs obligations. Il convient de protéger ce qui existe déjà dans leur constitution et de ne pas risquer une blessure par des postures trop intenses, car rares sont ceux qui disposent des fondations de Sṛṣṭi ou Śikṣaṇa krama quand ils débutent le yoga. Proposer des enchainements rigoureux pourrait être contreproductif.

Au fur et à mesure de son expérience, de son évolution spirituelle, vient le moment où la personne est en recherche de plus de profondeur dans sa vie, prenant conscience de l’impermanence de toute chose dans l’environnement. Tout change : son propre corps, ses sens, son mental, son psychisme. C’est le quatrième krama – Adhyatmika – et cela peut concerner tous les âges. Pour accompagner cette étape, une pratique de yoga orientée vers la méditation, amène le pratiquant à développer la conscience du « témoin » en lui, immuable, qui observe tous ces changements. Cette pratique lui permettra de développer une sagesse et de se détacher de tout objet matériel, y compris de son propre corps.

Le cinquième krama, Cikitsa :

Nous arrivons au cœur de cet article avec le cinquième krama – Cikitsa – le stade de la thérapie qui peut concerner toute période de vie. Le terme cikitsa est dérivé de la racine sanscrite « icca » qui signifie « désir » et cikitsa désigne « thérapie » ou bien « désir d’aider » car il s’agit d’un désir d’aider ceux qui sont dans dukha, la douleur, le mal être. C’est ce qu’explique le docteur N. Chandrasekaran dans son livre « Principles and practice of Yoga therapy » Ed. VHF publications. Elève de Desikachar, il a dirigé pendant vingt ans le département de yoga thérapie au KYM (Krisnamacharya Yoga Mandiram) à Chennai. Depuis plusieurs années, il parcourt le monde pour former à la yoga thérapie des professeurs de yoga confirmés et atteint ainsi une position reconnue en yoga cikitsa.

Selon lui, la yoga thérapie n’est pas orientée vers un symptôme mais vers l’individu qui a développé ses propres particularités distinctives et constitutives (IDPC). Chaque être est unique et présente des spécificités comme : une épaule plus basse que l’autre, un rachis plus ou moins dans l’axe, un bassin décalé, les pieds plats etc… Ces IDCP ne sont ni des maladies, ni des malformations et chacun peut vivre normalement.

Prenons l’exemple d’une personne avec une scoliose présentant une concavité à gauche et son épaule gauche plus basse (1). Si elle pratique régulièrement une posture symétrique telle que tāḍasāna prise en position statique, sa courbure vertébrale en sera aggravée (2). Il conviendrait de modifier cette posture et de la pratiquer en asymétrie (3).

Par ailleurs, la vie nous amène à surmonter des obstacles, de quelques formes qu’ils soient (maladie, deuil, dépression…) Tout le but de la yoga thérapie est d’identifier les IDCP pour ne pas les aggraver et de proposer une pratique de yoga adaptée à la personne et à sa situation de vie afin de réduire, voire de supprimer dukha (la souffrance).

La yoga thérapie est donc un système de soin à part entière qui peut être complémentaire à un traitement médical. La démarche respecte un protocole dans lequel l’élève est pleinement acteur. En effet, son engagement et sa pratique quotidienne s’avèrent nécessaires au processus de guérison. De même quand un médecin prescrit des médicaments, ces derniers ne feront effet que s’ils sont pris correctement, avec le bon dosage et au bon moment.  La yoga thérapie est un soin que l’élève s’applique à lui-même. C’est là toute la force de cette discipline qui renvoie au yoga de l’action décrit dans la Bhagavad-Gita.

C’est aussi une relation entre un professeur et un élève bien plus qu’une technique car il faut savoir ruser (yukti) pour amener l’élève à se prendre en main.

La méthode de Yoga Cikitsa :

Selon l’Ayurveda, trois domaines sont essentiels pour une prise en charge complète de la santé : l’alimentation (Ahara), le mode de vie au quotidien (Vihara), la phytothérapie et la chirurgie (Oṣadhi).

La yoga thérapie intervient dans le cadre de Vihara. Il est essentiel d’étudier le style de vie de l’élève pour prévoir une pratique de yoga qui s’adapte facilement à ses habitudes. Le but du yoga thérapeute – désireux d’aider – est le bien être de son élève qui est venu le voir pour soulager un problème de santé physique ou psychique.

Comme en Ayurveda, la yoga thérapie se base sur une évaluation pour comprendre l’élève, son problème et établir un diagnostic grâce à l’observation (Darśana), la palpation (Sparśnam), l’échange verbal (Praśna) et la prise de pouls (Naḍiparikṣa).

L’efficacité de la yoga thérapie est garantie par quatre étapes :

  1. Heyam : comprendre le problème et la personne et ce qu’il faut éviter ;
  2. Hetu : définir la cause du problème ;
  3. Hānam : fixer les objectifs thérapeutiques ;
  4. Upayam : déterminer les outils adaptés.

De nombreuses personnes ont profité des bienfaits de ce processus parfois en s’évitant une chirurgie, en supportant mieux un lourd traitement médicamenteux, en traversant les changements de situation…

« La yoga thérapie ne peut pas tout guérir mais aide à tout supporter »

résume le Dr N. Chandrasekaran.

Le sixième krama :

Et pour fini, il existe un sixième krama – Śakti ou Antya – en lien avec des pouvoirs particuliers, pour le Saṃnyāsin. Seuls quelques maîtres d’exception pratiquent à ce niveau. Nous pouvons citer T. Krisnamacharya qui a pu interrompre ses pulsations cardiaques pendant plus de deux minutes (cf. « Le yoga du yogi » éd. Agamat de K. Desikachar).

Conclusion :

Ces différentes catégories représentent des repères et les séparations entre elles ne sont pas déterminées ; les combinaisons sont infinies. Une personne peut parfaitement être intéressée par la spiritualité (Adhyatmika krama) dès son enfance. Un adulte en parfaite santé continuera de pratiquer intensément (Śikṣaṇa Krama). Lors d’une maladie, une personne ne pouvant pas s’arrêter de travailler car elle est un soutien de famille aura intérêt à poursuivre sa pratique pour revigorer son corps jour après jour et réduire le stress (Rakṣaṇa krama) tout en se concentrant sur Cikitsa krama pour se soigner.

Le yoga est un outil puissant. Utilisé de manière inconséquente, il peut blesser. Utilisé de manière appropriée, il fait merveille !

Otilia Moreira propose des formations et des post-formations en yogathérapie en région parisienne :

Yoga Cikitsa - Se former en Yoga thérapie

Cet article sur Yoga Cikitsa, la yogathérapie, est écrit par Otilia Moreira, formatrice et professeure de Yoga, spécialiste du Yoga Cikitsa, qui a donné un stage avec Isabelle Moysan en 2024, et intervient ponctuellement dans la post-formation Yoga et Ayurveda de Yogamrita.

L’article est paru sur la Newsletter Yogamrita de février 2024. Si vous souhaitez recevoir les nouveaux articles, dès parution, inscrivez-vous à la Newsletter,  c’est ici.

Michèle Lefèvre Granclément

Le Yoga m'accompagne au quotidien depuis longtemps et je le transmets depuis 1991. La méditation et la pratique des différents aspects du Yoga Intégral, les rencontres sur le chemin, et l'étude des textes sacrés / philosophiques, sont mes sources d’inspiration. L'amour de la Nature et l'approche holistique de la santé, depuis l'enfance, m'ont conduite à mettre en pratique conjointement les sagesses de l'Ayurveda et du Yoga, puis à étudier leurs synergies. La Joie et l'évidence de la transmission de ces voies sœurs découlent de cette expérience de Vie.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.