Les rencontres
Quoiqu’il en soit, je voudrais parler de ces rencontres intenses mais indirectes. Je suis personnellement interpelée par la force de ces rencontres dans le subtil : la mise en application de l’enseignement reçu indirectement nourrit la relation subtile avec le maître.
Ma première « vraie » rencontre en yoga a eu lieu en 1989. J’ai eu la chance de rencontrer un maître de yoga indien « en vrai » et de recevoir directement de lui des initiations et, à l’époque, je pensais que mon chemin en yoga était tout tracé… Puis, en 1993 déjà, ce maître a quitté son corps… alors que mon cheminement yogique ne faisait que commencer.
J’ai alors pleinement intégré l’importance de poursuivre ma pratique et mon étude en yoga, selon les enseignements reçus, puis aussi, de les nourrir auprès d’autres professeurs. Il y avait, d’un côté, mes rendez-vous quotidiens en méditation et sur le tapis de yoga, puis de l’autre, l’inspiration qui me venait de mes lectures et de mes nouvelles rencontres yogiques.
En 2008, j’ai découvert, d’abord à distance, puis en présence, l’enseignement du Swami Gitananda Giri, de Pondichéry, au travers de son épouse, Meenakshi Bhavanani, et de leur fils, le Dr Ananda Balayogi Bhavanani qui, tous deux, poursuivaient la transmission de l’enseignement du Swami, décédé en 1993, lui aussi. Ainsi la tradition est restée pleinement vivante. C’est une histoire singulière… mais aussi un véritable clin d’œil quant à l’universalité du yoga et à la mondialisation de sa diffusion.
En tant que femme, lorsque je me rendais en Inde, j’attendais depuis longtemps, une vraie rencontre avec une Yogini, pleinement investie dans la pratique et l’enseignement. La rencontre avec Yogacharini Meenakshi Devi Bhavanani a été une évidence. Cette résidente indienne, américaine d’origine, journaliste de formation, est arrivée en Inde en 1968, pour y étudier le yoga, puis pour y rester définitivement, aux côtés de celui qui est devenu son époux. Elle reçut une formation complète en yoga et au Bharata Natyam, exerça comme danseuse, puis comme formatrice en danse auprès de plusieurs milliers de jeunes gens, pendant 40 ans. Elle et Swami Gitananda ont fortement contribué à diffuser le yoga et les arts carnatiques auprès des milieux défavorisés de Pondichéry.
Lors de mes visites, Meenakshi m’a accueillie spontanément et chaleureusement, ainsi que les groupes que j’accompagnais, alors même que, selon son fils elle était très sélective et n’invite que rarement à des Satsangs (enseignements directs dans l’intimité de l’ashram) des gens non formés par eux. C’était une vraie rencontre de cœur…
L’histoire de cette famille est atypique. Le Dr Swami Gitananda est né le 24 juillet 1907 dans le nord de l’Inde. Sa mère était irlandaise, convertie à l’hindouisme, et son père, avocat, était Sindhi (d’origine pakistanaise). Sa mère décéda alors qu’il n’avait que huit ans. A l’âge de dix ans, il rencontra son maître en yoga, le saint Bengali Swami Kanakananda Brighu. Durant 6 ans, il étudia à ses côté la science mystique du Yoga, du Tantra et du Yantra. A l’âge de 16 ans son maître l’envoya en Angleterre pour y étudier la médecine. Puis, il entra à la British Royal Navy en tant que médecin pendant la seconde guerre mondiale. Ensuite, il immigra au Canada où, tout en poursuivant la pratique de la médecine, il établit des écoles et des centres de yoga. Il rentra définitivement en Inde en 1967 et fonda l’Ananda Ashram à Lawspet, Pondichéry. En 1975, sa rencontre avec Srila Sri Shankaragiri Swamigal, sage de la tradition Shaiva Siddhanta Yoga du Sud de l’Inde, lui permit de recevoir l’enseignement de cette autre tradition et d’en devenir aussi l’héritier. Il reçut de son maître le Kambali Swamy Madam, un ancien ashram et lieu de sépulture de plusieurs yogis renommés, qu’il rénova avec enthousiasme. Swami Gitananda eut un grand rayonnement de son vivant, sur toute la région du Tamil Nadu, mais aussi en Inde, et bien au-delà, puisque de nombreux occidentaux sont venus suivre ses formations en Rishiculture Ashtanga (Gitananda) Yoga, de son vivant et après. Ses élèves ont ouvert plus de 135 centres de Yoga dans 30 pays autour du monde. Swami Gitananda a écrit 25 livres sur le yoga et a fait dix tours du monde et plus de vingt tours de l’Inde. Il était reconnu par le monde médical pour sa double compétence scientifique et yogique. Il a participé à la diffusion du yoga, de la culture et de la santé auprès de la jeunesse de l’Inde. Aujourd’hui encore, le charisme, la générosité et l’humour de Gitananda, le Swami « à la peau blanche », laissent des souvenirs indélébiles chez ceux qui l’ont rencontré. Chaque fois que je me rends à Pondichéry et que je parle de lui, je vois le visage d’inconnus des anciennes générations s’éclairer et me raconter une rencontre ou une anecdote avec le Swami Gitananda Giri.
J’ai bien sûr aussi rencontré son fils et successeur, Yogacharya Dr Ananda Balayogi Bhavanani, lui-même médecin et directeur du CYTER (Centre for Yoga Therapy, Education and Research) de l’hôpital Sri Balaji Vidyapeeth à Pondichéry. Le Dr Ananda Balayogi est un homme profondément positif, convaincu par la démarche yogique, enthousiaste et généreux. Lors de chaque séjour, il nous a accueilli(e)s de façon royale. Le Dr Ananda est l’auteur de 15 DVDs et 12 livres de Yoga, grâce auxquels j’ai découvert l’enseignement de son père. Il a publié plusieurs dizaines d’articles sur le yoga et la recherche en yoga. Il est aussi chanteur carnatique, percussionniste et compositeur musical. Formateur en yoga, conseiller de l’International Association of Yoga Therapists (IAYT) et membre du comité technique de certification en yoga du ministère AYUSH, il est amené à voyager sur le plan mondial.
Ses propres enfants ont été éduqués selon les valeurs du yoga et de l’hindouisme. C’est inspirant de voir ainsi le yoga se transmettre en toute simplicité, de génération en génération. J’ai vu la grand-mère sonner la cloche dans le temple, pendant une Puja, tout en répondant à un téléphone important, puis en s’occupant d’un enfant qui passait par là. J’ai vu le petit-fils effectuer les rituels avec son père… puis se changer pour aller faire du Taekwondo avec ses amis. J’ai vu la mère chanter des Mantras, puis le père et la fille chanter ensemble des chants carnatiques, avec dextérité et grâce. Il y avait de la fierté réciproque et beaucoup d’amour.
Alors même que, toute jeune, j’avais vécu un style de vie yogique monacal, j’ai aimé rencontrer cette famille de yogis; pleinement ancrés à la fois dans la pratique, la transmission, la vie sociale et familiale.
Ce fût pour moi une source d’inspiration qu’il m’a plu de vous partager ici.
Namaste,
Michèle Lefèvre