Dharana est le sixième membre du Yoga, selon les Yoga Sutra de Patanjali. C’est l’art de la concentration.
Désha-bandhash chittasya dhâranâ
Dharana est l’art de la concentration parfaite sur un point.
(Yoga Sutra, III.1)
Le « point » dont il s’agit ici peut-être un objet, un lieu, un sujet donné. La traduction exacte du sutra parle de « lier le mental en un lieu ». Le sens de « lier » indique bien le mouvement nécessaire que le mental doit réaliser pour s’unir sur l’objet de la concentration. Dans le yoga, lorsqu’on désire illustrer cet état de parfaite concentration, on cite souvent le grand Archer de la Bhagavad Gîtaqu’était Arjuna: Voici son histoire :
« Drona, Maître d’armes, enseignait l’art du tir à l’arc aux frères Pandavas, les célèbres héros du Mahabharata. Un jour, Drona avait installé un poisson en bois sur la branche la plus haute de l’arbre le plus haut du lieu d’entraînement. Les cinq Pandanvas se tenaient là, prêts à essayer, à la demande de Drona, d’atteindre avec leur flèche, le dit poisson.
Drona appela le premier des frères et lui demanda avant qu’il ne tire :
« Ami, que vois-tu ? »
« Je vois le bleu du ciel, l’arbre, le vent dans les branches, le poisson » répondit-il.
« Bien, répondit Drona, alors pose ton arc et ne tire pas ».
Il appela le second et lui demanda avant que ce dernier ne tire :
« Ami, que vois-tu ? ».
« Je vois l’arbre, les branches, la branche sur laquelle est le poisson, le poisson » répondit ce dernier.
« Bien, répondit Drona, alors pose ton arc et ne tire pas ».
Il appela le troisième et lui posa la même question :
« Ami, que vois-tu ? ».
« Je vois l’arbre, les branches, la branche, les feuilles, le poisson » répondit ce dernier.
Et Drona ordonna la même chose. Ainsi de suite, aucun prince ne pût tirer sa flèche.
Drona appela enfin Arjurna et lui posa la même question ; Arjurna répondit :
« Je ne vois que l’œil du poisson et rien d’autre ».
Drona lui dit alors: « Ajuste ton arc et tire ».
Seule l’intensité de la concentration permet d’unir l’observateur et l’objet d’observation.
En Dharana, la conscience de l’objet observé est maintenue. La conscience que l’on est en train de se concentrer ne disparaît pas. Si tel était le cas, on plongerait alors dans les états avancés de Dhyana, de méditation profonde.
La concentration peut porter sur :
- des objets extérieurs ;
- elle peut également se faire sur des supports plus intérieurs comme les chakras du corps,
- sur des zones physiques plus ou moins subtiles,
- elle peut se faire aussi sur des plans mentaux et plus éthériques.
En matière de concentration, selon la nature du support, le lieu de son action, et l’intensité de sa pratique, on peut dire que, ce que l’on appelle Dharana, s’étend sur une échelle allant du retrait des sens (Pratyahara), en passant par la concentration duelle en tant que telle, pour se fondre ensuite dans les niveaux les plus profonds de la méditation (Dhyana).
Ce qui caractérise Dharana, c’est la capacité à être ininterrompue. C’est l’étape INDISPENSABLE vers la méditation. Sans elle, pas de réelle méditation… mais un long monologue du mental:
Ce monologue, on l’expérimente au quotidien. On se sent libre dans ses pensées et maître de « soi » … mais en fait, on est aussi en quelque sorte prisonnier: piégé par le mental… car il semble quasiment impossible de cesser le brouhaha des pensées.
Le sentiment du « moi » est une force qui pousse à entretenir les pensées. Le « moi », c’est l’ego (ahamkara), la conscience individuelle, duelle. L’ego a besoin de la pensée pour survivre. « Sans pensée, plus de sensation d’exister », pense le mental…
Le mental nourrit donc sa substance dans la pensée.
La pensée, elle, se raccroche au passé, au souvenir, dans lequel l’ego trouve ses fondements: car « sans souvenir, comment m’identifier à l’ego? qui aurait mémoire de moi? »
… puis, pour prolonger son existence, l’ego se projette dans l’avenir, …
Ainsi, l’égo puise « sa réalité » dans le temps, qui lui donne pleinement le sentiment d’exister.
Les Yoga Sutra disent ensuite que, si la concentration est maintenue sur la durée, elle se transforme donc en Dhyana:
la conscience du méditant ne fait plus qu’un avec son objet de méditation – le temps, l’espace et la causalité disparaissent – , c’est le début du grand voyage intérieur et de l’expansion de conscience.
Alors même que l’ego croyait que la non-pensée serait la grande dissolution, le méditant est devenu bien plus présent et bien plus conscient: il est né à une conscience beaucoup plus vaste: il est sorti des limites, ou du cadre, que l’ego lui imposait…
Source de l’image: Arjuna l’archer, By Charles Haynes (originally posted to Flickr as Archery) [CC-BY-SA-2.0 (http://creativecommons.org/licenses/by-sa/2.0)], via Wikimedia Commons. To win the hand of Draupadi Arjuna has to shoot the eye of a fish that’s on a revolving platform while aiming using a mirror. That Arjuna was a good archer.