Le Congrès de la FIDHY approche. Son thème sera « la Liberté » et la FIDHY (Fédération Inter-enseignements du Hatha Yoga) m’a demandé d’écrire à ce propos dans FIDHY Infos. Voici le texte.
Chère Liberté,
Aujourd’hui, j’ai désiré te parler en mettant de côté une bonne partie des mots que le yoga et son enseignement ont mis dans ma bouche. J’ai choisi de me présenter à toi, sans me cacher, ni fabuler.
Longtemps j’ai couru après toi. Adolescente, j’ai cru que bonheur rimait avec Liberté. J’ai cru que partir me dégagerait de certaines lourdeurs et me rapprocherait de toi. Et les voyages m’ont donné ta saveur… tout autant que l’illusion de toi. Au terme de ces errances, j’ai compris que non, somme toute, nul besoin de partir loin, car jamais l’on ne part loin de soi.
J’ai voulu apprivoiser cette inconnue avec qui je vivais, apprendre à me connaître, à vivre avec ce que je suis, avec mes vérités et mes illusions : il me fallait, enfin, vivre avec moi. Cela me donnerait la liberté. Je m’y suis donc essayée.
Le yoga m’a appris que tu pouvais m’apparaître « ici et maintenant ». J’ai donc mis en place mes pratiques, mais je manquais de disponibilité mentale et de temps. Je me suis rangée sur une case de l’échiquier professionnel, j’ai travaillé au quotidien pour d’autres qui me disaient quoi faire. J’avais choisi à contre cœur le rôle du « pion ». Le fruit de mon âme était encore vert. Mon sentiment de liberté ne s’est jamais autant étiolé. J’étais loin de moi, loin de mon être, loin de tout sentiment de liberté. Il m’a fallu aller jusqu’au bout de cette expérience, pour vivre un choc brutal qui me sortirait d’un mauvais rêve. Et là, j’ai tout simplement osé me regarder, sans fard, telle que j’étais à ce moment-là du parcours. L’échiquier a volé en éclat. L’espace s’est ouvert ; il s’est apaisé.
Alors, chère Liberté, j’ai fait de vrais choix. Il m’a fallu du temps, beaucoup de temps et de patience, pour déconstruire quelques-unes des vérités auxquelles je m’étais accrochée, tout ce que je pensais être. Ceci est l’histoire d’une vie, une histoire banale et certainement si répandue…
« La liberté est le droit de naissance de l’être humain » écrivait Swami Sivananda Sarasvati. « Ce droit de naissance est Saccidananda, Existence Absolue, Connaissance Absolue et Félicité Absolue. La liberté est Existence, la liberté est Connaissance, la liberté est Félicité. » Voilà qui est dit et bien écrit. Mais rares sont ceux qui l’expérimentent vraiment…
Alors parfois je lisais Kabir et les Bâuls, les « poètes fous », pour rêver d’enfin ressentir ton doux parfum, chère Liberté. Mais l’heure était plutôt à accepter le constat de Khalil Gibran, écrivant sur toi, dans « Le Prophète » :
« Vous serez vraiment libres non pas lorsque vos jours seront sans soucis et vos nuits sans désir ni peine, mais plutôt lorsque votre vie sera enrobée de toutes ces choses et que vous vous élèverez au-dessus d’elles, nus et sans entraves.
Et comment vous élèverez-vous au-dessus de vos jours et de vos nuits sinon en brisant les chaînes qu’à l’aube de votre intelligence vous avez nouées autour de votre heure de midi?
En vérité, ce que vous appelez liberté est la plus solide de ces chaînes, même si ses maillons brillent au soleil et vous aveuglent.
Et qu’est-ce sinon des fragments de votre propre moi que vous voudriez écarter pour devenir libres?
Si c’est une loi injuste que vous voulez abolir, cette loi a été écrite de votre propre main sur votre propre front.
Vous ne pourrez pas l’effacer en brûlant vos livres de lois ni en lavant les fronts de vos juges, quand bien même vous y déverseriez la mer.
Et si c’est un despote que vous voulez détrôner, veillez d’abord à ce que son trône érigé en vous soit détruit.
Car comment le tyran pourrait-il dominer l’homme libre et fier si dans sa liberté ne se trouvait une tyrannie et dans sa fierté, un déshonneur?
Et si c’est une inquiétude dont vous voulez vous délivrer, cette inquiétude a été choisie par vous plutôt qu’imposée à vous.
Et si c’est une crainte que vous voulez dissiper, le siège de cette crainte est dans votre cœur, et non pas dans la main que vous craignez.
En vérité, toutes ces choses se meuvent en votre être dans une perpétuelle et demi-étreinte, ce que vous craignez et ce que vous désirez, ce qui vous répugne et ce que vous aimez, ce que vous recherchez et ce que vous voudriez fuir.
Ces choses se meuvent en vous comme des lumières et des ombres attachées deux à deux.
Et quand une ombre faiblit et disparaît, la lumière qui subsiste devient l’ombre d’une autre lumière.
Ainsi en est-il de votre liberté qui, quand elle perd ses chaînes, devient elle-même les chaînes d’une liberté plus grande encore. »Khalil Gibran, Le Prophète
Le yoga me semblait une voie. Comment parvenir à goûter au moins à l’avant-goût des fruits de la pratique ? Car sans bonheur, ni joie, comment persévérer ? Comment toucher à l’ « état d’être libre » ?
Chaque chemin est différent et unique. Mais on remarque quelques constantes :
La détermination permet au chercheur de s’accorder l’espace-temps régulier de la pratique. La cohérence et le bon sens lui font adopter l’hygiène de vie qui va avec, dans le ni trop, ni trop peu, dans l’équilibre qui permet de durer, de dompter l’esprit avec douceur et fermeté.
L’expérience du commun des mortels nécessite beaucoup, beaucoup de temps. Surtout au début.
Sur l’exemple de la méditation, je partage ce qui m’a le mieux réussi.
Méditer trente, quarante-cinq minutes, ou même une heure permet tout juste de calmer le mental du débutant. Rien de remarquable, me semblait-il : le « feu » de la transformation yogique ne pouvait opérer.
Méditer une heure et demie, deux heures ou plus, cela propulse dans plus de profondeur. Le méditant débutant se retrouve face à lui-même. Tout d’abord, le corps se manifeste, souffre, consume sa révolte… puis il se détend totalement et se dissout, dans l’oubli de sa propre densité. Le mental novice, conciliant au début, se révèle progressivement récalcitrant, bouillonnant, puis s’avoue fatigué : il capitule enfin. Soudain, l’esprit rentre dans l’assise : il est pleinement dedans… Il intègre et enregistre une expérience différente, voire renversante. Au fil des pratiques, l’esprit va apprivoiser l’assise prolongée, intégrer cet état d’être, tant et si bien qu’il y reviendra, de plus en plus vite et volontiers. Le goût pour la pratique acquis, tout devient plus facile. Et là, l’ « état d’être libre » se fait plus intime… le corps et l’être s’en souviennent…
Désormais, il m’arrive de relire Kabir et les poètes Bâuls. Ils m’inspirent et donc, j’y reviens. La différence est que je n’ai plus envie de changer quoi que ce soit… ou si peu.
« Je ne suis ni pieux ni incroyant.
Je ne vis ni par les lois ni par les sens.
Je ne suis ni orateur ni auditeur.
Je ne suis ni servant ni maître.
Je ne suis ni prisonnier ni libre.
Je ne suis ni attaché ni détaché.
Je ne suis loin de personne.
Je ne suis près de personne.
JE SUIS.
Je n’irai ni en enfer ni aux cieux.
J’exécute tous les travaux,
Toute fois je ne suis lié à aucun.
Peu comprendront ces paroles ;
Celui qui les comprendra,
Sera stable. Établi dans le Soi.
Kabir ne cherche ni à s’établir ni à détruire. »Kabir
« Comment mon cœur a-t-il fondu ?
Je l’ignore…
Dans l’extase de la vie,
Dans l’extase de la mort,
Mon cœur est ivre de joie…
Ô Bien-aimé
Ne me fais pas languir en vain.
Je n’attends plus rien,
Ni du jour de demain,
Ni du jour d’hier.
Tes bracelets de chevilles
Sonnent nuit et jour,
Miracle ! je suis confondu…
Où est la mer infinie ?
Où est la rivière avec ses remous ?
Si tu veux connaître
Le flot de vie qui les unit,
Marie ton cœur et tes yeux.
Alors pour toi,
Les « yeux de ton cœur »
Verront la lîla, le Jeu de Dieu. »Ishan Jugi, le tisserand
Ces textes font écho à quelque chose qui s’apparente à la pratique, ils nourrissent mes forces et m’invitent à l’assise toujours renouvelée, et telle qu’elle se présente à moi, avec ses ombres et ses lumières. Tout est donc bien ainsi… et cette lettre à la Liberté restera inachevée…
Michèle
PS: Ce texte est sorti d’un jet, presque à ma surprise. Il est assez personnel, c’est une expérience de vie et de recherche que je vous ai partagée ici. La pratique est propre à chacun. Il y a ceux qui sont beaucoup dans le postural, dans le souffle, dans le chant, dans l’étude, etc. Même si une approche intégrale du yoga s’est toujours imposée à moi, j’ai eu le besoin d’explorer tout particulièrement la pratique méditative. Je l’ai fait sans forcer, à mon rythme et dans un esprit de recherche de l’essentiel…
A bientôt peut-être, au Congrès du Yoga d’Evian.
Merci Michèle pour ce texte très inspirant!C’est comme une invitation à prolonger cet temps de méditation qui m’est devenu presque quotidien mais je n’arrive pas encore à prolonger.Ton témoignage m’éclaire et je me réjouis de tout ce qu’il me reste à découvrir et j’ai 56 ans…Je suis d’ailleurs une DU de yoga sur Lille et j’ai l’impression de vivre une renaissance.Namaste.
Merci Carole pour ce partage. Le yoga nous met en chemin, et nous marions cela, dans toute notre humanité, à la vie quotidienne, riche de ses multiples expériences…
Merci pour ce partage aussi profond et personnel. A lire, relire et méditer _/\_
Oui, merci pour ce texte si sincère comme un cri du cœur et de vie, c’est un beau témoignage qui ne peut que toucher lorsqu’on est sur le chemin du yoga… Mais une chose me fascine et m’effraie : j’essaie la méditation, dix minutes sur un tapis, je ne m’imagine pas pouvoir rester plus d’une heure un jour…. comment faire ?
quel hymne à la liberté ! merci de ce beau texte, on sent sous ces mots une profondeur de cœur c’est d’ailleurs pour cela que je reviens toujours vers votre site. Au plaisir de lire encore de belles inspirations.
merci beaucoup pour ce bel élan du coeur …
quelle réjouissance de voir tous ces élans d’humanité vers …leur divinité 🙂
Merci Michèle
Bonjour Michèle,
Ce texte a-t’il été écrit comme la date l’indique en Avril 2016 ou est-il plus ancien ? Simple curiosité de ma part.
En tout cas merci pour ce vibrant témoignage sur ton chemin. Porteur d’espoir.
Bonne journée. Namasté
Bonjour Cyril,
J’ai écrit ce texte pour la FIDHY en 2016. Le « parcours méditatif », dont il est notamment question ici, est plus ancien, vu que j’ai commencé à pratiquer des méditations de 1h, 2h ou plus, à partir de 1998.
Bonjour Michèle,
Que de temps passé à » être « . Il en faut de la volonté, de la détermination et du lâcher prise pour méditer aussi longtemps depuis 1998. Je parle de ce que je ne connais pas bien sûr. Je suis très fort pour ça 🙂
J’ai lu » La voie de la vigilance intérieure » de Salim Michael alors maintenant je peux me permettre 😉 Bref, trêve de plaisanterie.
Puis-je te demander quelle méditation tu pratiques ? Quels sont les ressorts de ta motivation à rester si longtemps en pratique ? Quand médites-tu également ? Je veux tout mais tout savoir Michèle ! :-)))
En attendant je te souhaite ainsi qu’aux fidèles et infidèles occasionnels de très bonnes fêtes de fin d’année ! * Namasté