Cette année, j’ai lu le livre de Peter Marchand, « The Yoga of the Nine Emotions« . Peter Marchand est disciple de Harish Johari, dont je respecte énormément le travail. Harish Johari avait donné plusieurs conférences sur les Nava Rasa, les neufs états intérieurs (ou émotions en sanskrit, mais le terme est limitatif). C’était en 1997 et cela se passait en Belgique. En 1999, le maître, Harish Johari, a quitté son corps, après avoir demandé à Peter Marchand d’écrire sur le sujet des 9 Rasas, à partir des conférences de 1997. Le résultat est un excellent livre, disponible en anglais seulement pour l’instant.
Les 9 Rasas
Rasa signifie en sanskrit « jus », « essence », ou, par extension, « saveur ». Rasa traduit un état d’être du mental, une émotion dominante. Les Rasas sont exprimés dans tous les domaines des arts indiens, comme la danse, la musique, le cinéma, la littérature. Il est d’ailleurs intéressant de voir qu’ainsi les arts offrent au peuple et aux enfants, un miroir et une grille de lecture de leurs propres sentiments.
Les 9 Rasas de la tradition indienne sont:
Shringara, l’Amour
Hasya, la Joie
Adbhuta, l’Emerveillement
Shanta, le Calme
Raudra, la Colère
Virya, le Courage
Karuna, la Tristesse
Bhayanaka, la Peur
Vibhatsa, le Dégoût
Dans notre humanité, nous expérimentons tous, à des niveaux différents, chacun des neufs Rasas. En tant qu’individu, nous avons développé des affinités avec tels ou tels Rasas, qui ont tendance à se manifester plus souvent. Quoiqu’il en soit, ceux-ci ont en commun leur impermanence: un Rasa vient, s’exprime, puis laisse la place à un autre état intérieur.
Voici une petite vidéo qui les présente de façon très expressive:
Chaque instant, chaque vécu a sa propre couleur. Chaque être humain expérimente la vie, au travers du filtre de ses désirs, de ses attachements et de ses répulsions.
Observer le fonctionnement des Rasas est, en soi, un yoga, d’où le nom de « Yoga des 9 émotions » que Peter Marchand a donné à son livre.
Le Jnani Yogi (yogi qui pratique la voie de la Connaissance) et le Raja Yogi (yogi qui pratique la voie du contrôle du mental et de la méditation) font effectivement ce travail d’observation. La part du yogi qui observe les mouvements intérieurs ou Rasas s’appelle le Témoin, (ou « Drashtar »). Le Drashtar est conscient de ce qui se trame, mais il ne se laisse pas emporter par cela, car il sait que ces états ne sont que transitoires.
Ayant accepté cet état de fait, il est possible d’explorer la palette des saveurs de la vie, pour progressivement se libérer de la part d’ombre et développer la part de lumière en soi. Au-delà des hauts et des bas, la recherche porte vers un bonheur durable.
Cette observation et la compréhension progressive du processus intérieur, c’est une partie du travail que l’on nomme en yoga « Svadhyaya », la connaissance de soi (ou de Soi).
Au-delà des manifestations de la dualité, telles que les Rasas, le Yogi recherche sa vraie nature, qui se trouve dans l’Unité. Il part du principe que tout ce qui est impermanent est illusoire. Il va donc progressivement fixer son esprit sur ce qui demeure, au-delà de la mouvance.
Il ne suffit cependant pas d’écarter d’un geste ce qui dérange en soi: on le sait bien. Cela équivaudrait à cacher de la poussière sous un tapis. Si la vie déplace un peu le tapis, la poussière emplirait à nouveau la pièce!
C’est pourquoi il convient de faire face à ce qui se trame en soi: l’introspection est un acte de « Satya », un acte de Vérité. Ce sera le point de départ. Pour avancer sur le chemin vers soi, on ne peut en effet que partir du point précis où l’on se trouve. Sinon, l’on pense avancer, mais l’on se trouve sur le chemin de ses propres illusions et désirs.
C’est en cela que le livre et le travail proposés ici sont intéressants. Les 9 Rasas sont explorés. Puis Harish Johari, sous la plume de Peter Marchand, propose des « Sadhana » ou pratiques, pour travailler sur un Rasa ou l’autre. Une Rasa Sadhana peut viser à pacifier un Rasa négatif ou à développer un Rasa positif.
Ainsi, il devient possible de mettre en place une « hygiène émotionnelle ».
Maîtriser pleinement un Rasa qui a une action négative sur soi, requiert un engagement total. Il ne s’agit jamais de refuser, ni d’éradiquer. Il convient de comprendre, pour dépasser, puis guérir. Chaque Rasa possède des Rasas amis ou ennemis. C’est-à-dire qu’un Rasa appelle un autre ou l’éloigne. C’est une véritable pièce de théâtre qui se joue en nous. En comprendre les règles et le fonctionnement est un complément intéressant à la pratique du yoga.
Au cours de l’année, j’ai travaillé sur la base de ce livre, sur celle de l’approche ayurvédique et du yoga, afin de compléter l’approche du livre de Peter Marchand avec la pratique du yoga.
Je tâcherai de transmettre dans de prochains articles certains éléments de réflexion.
D’ici là, voici le site sur les Rasas et les vidéos de Peter Marchand (en anglais).
A bientôt,
Michèle
Merci, Michèle, d’attirer l’attention sur ce livre, et par delà, sur les « saveurs » de l’esprit/cœur humain ainsi que sur l’importance et l’intérêt de les côtoyer volontairement, de les goûter de près encore et encore, sans complaisance mais avec une certaine bienveillance. J’ai aussi été touchée par le petit paragraphe glissé vers la fin de votre article, qui montre que vous ne vous êtes pas contentée de lire le livre; vous avez relevé le défi d’en tirer une pratique et de la joindre à vos autres « instruments » privilégiés, le yoga et l’ayurveda.
Que la suite de votre exploration soit belle et riche
Sibylle
Michèle,
Juste une petite question: comment se fait-il que « karuna » soit traduit par « tristesse » (« sadness » dans la table des matières du livre de P. Marchand) alors que son acception conventionnelle dans le bouddhisme est « compassion »?
Par la traversée de la tristesse, l’autre face de cette pièce?
Sibylle
Bonjour Sibylle,
De passage à la maison (la formation commence dans 1h!).
Le sens premier de Karuna, en sanskrit, était la tristesse. Puis il a évolué, pas seulement dans le bouddhisme (on parle ausi de Karuna en yoga), et il signifie compassion.
Il y a des Rasas « amis/ennemis, mais il y a aussi des modalités des Rasas et des émotions sœurs, qui sont des « sous-Rasas ».
La compassion est la face lumineuse de l’état de Karuna. La tristesse est la face sombre, en effet. Cela est très intéressant, d’ailleurs. N’est-ce pas?
Bien cordialement,
🙂
🙂
Merci beaucoup Michèle pour cet article passionnant. Je ne connaissais pas du tout les Nava Rasa. La fin de l’article me parle beaucoup. J’ai récemment travaillé sur l’un de ces Rasa (sans le savoir, du coup) et, en effet, l’éradiquer n’est pas la solution. Il faut l’appréhender et surtout, l’accepter. Cela m’a changé la vie. Vraiment très très intéressant, merci encore pour ce partage.
Merci Émilie, pour ton retour.
C’est quelque chose qui m’intéresse beaucoup aussi.
J’espère y revenir sur ce sujet, tôt ou tard, dans un autre article.
Namaste
Bonjour Michele, cet article sur les rasas est très interessant et je te remercie vivement. Je viens d’ailleurs de commander le livre de Peter Marchand pour approfondir mes connaissances. Peut-on penser à des postures ou souffles en particulier qui pourraient nous aider a travailler sur certains rasa en particulier?
Merci
Fabienne
Bonjour Fabienne,
Oui… ce sujet est passionnant. Après la lecture du livre de Peter Marchand, j’ai fait beaucoup de recherches pour appréhender les 9 Rasas à la lumière du yoga.
J’y ai d’ailleurs consacré les 7 matinées de yoga cette dernière année scolaire et ce sera la thématique des cours de mon prochain stage avec Sarva Atma.
Il est probable que je proposerai un stage de 5j rien que sur la thématique des 9 Rasas ou états intérieurs l’année prochaine.
Je manque cruellement de temps ces mois-ci pour pouvoir échanger ici et nourrir le blog. Mais je n’y renonce pas. Peut-être pourrai-je partager ici une séquence ou l’autre, sur le thème des Rasas.
Belle journée,
Michèle