J’avais écrit cet article dans le cadre du Yoga Festival. Bien qu’en peu «hors saison» (il y est aussi question de l’Automne), je vous le partage aujourd’hui… car la compréhension du Dosha Vata, et l’attention qu’il nécessite, dépassent largement le cadre de la saison automnale…
Lorsque j’ai été contactée pour participer au Yoga Festival, pour donner des ateliers de yoga, j’ai proposé plusieurs thèmes et j’ai laissé les organisateurs choisir. Ils ont, entre autres, retenu ma proposition de donner un cours dans lequel les participants ont les yeux bandés. Sans doute était-ce un peu différent, voire même un peu intrigant…
Pratiquer les yeux ainsi fermés, c’est un acte de confiance. Tout d’abord parce que l’on se retrouve dans le noir pendant 1h30 ; et ensuite, parce que l’on ne peut que s’en remettre aux indications orales de l’enseignant, qui décrit les postures et guide les transitions, les unes après les autres.
Pourquoi cette approche au Yoga Festival ?
Tout d’abord et essentiellement parce que le Yoga Festival a eu lieu pendant la saison automnale, à la période de la rentrée, dans un moment de « rush ».
L’Automne, c’est aussi la saison des fruits et des derniers feux d’artifices de la Nature. La sève des arbres descend progressivement et les feuillages desséchés aux mille couleurs sont balayés par le vent, voire même parfois, la tempête. Les jours raccourcissent et la température baisse. La Nature change et se prépare à une période de repos salutaire, l’Hiver.
Avec la fin de l’Eté, il y a les changements de rythmes, la reprise du travail ou des études. On ressent parfois un vague à l’âme, lié à la nostalgie de l’Eté. L’Automne rappelle aussi à l’Homme l’Impermanence de toute chose.
L’Ayurveda, la « science de la vie » ou médecine traditionnelle indienne, prône le respect des rythmes du corps et des saisons. Il convient d’aller avec la Nature… car fonctionner à contre-sens épuise !
On dit que l’Automne augmente (aggrave) Vata, l’humeur ou « Dosha » lié aux éléments «Air» et «Ether». Chez l’Homme, comme dans la Nature, le Dosha Vata est alors aggravé. Vata est responsable du mouvement et de la coordination de toutes les fonctions du corps, y compris du système nerveux. Les tensions intérieures, la nervosité, perturbent la digestion et d’élimination. Vata est aussi lié à Prana, l’énergie de Vie. C’est dire son rôle crucial.
Lorsque Vata est perturbé, c’est l’équilibre de tous les plans de l’être qui vacille : le corps, les sens, le mental, la sphère émotionnelle et l’âme. Le sommeil devient plus léger, irrégulier, et peut se doubler de fatigue automnale. Le mental s’agite ou même se disperse ; l’humeur se fait changeante et l’on peut ressentir plus d’inquiétude ou de la vulnérabilité. L’aggravation de Vata se manifeste aussi sous forme de sécheresse de la peau, des muqueuses et de la gorge, qui expose aux refroidissements…
Mais revenons-en à la pratique de yoga les yeux fermés !
Maintenir les yeux clos, c’est les reposer. C’est aussi fermer l’une des portes les plus importantes des organes des sens. Or l’on sait que les sens stimulent constamment le mental, causant, en cas de fatigue nerveuse, une déperdition d’énergie bien réelle.
En Yoga, fermer les yeux procède de Pratyahara, les pratiques de «retrait des sens». Pratyahara est le cinquième «pilier» du Yoga, selon Patanjali. En sanskrit, «Pratyahara», signifie le retrait, la maîtrise des forces ou «nourritures» extérieures.
Par nature, le mental, est à l’affût d’expériences nouvelles. Il reçoit d’innombrables perceptions sensorielles. De ces perceptions découlent des sensations, des émotions, des pensées, et enfin, des actions/réactions.
Pratyahara c’est l’opposé. Progressivement, grâce à l’exercice régulier, le mental s’intériorise et n’est plus affecté par les perceptions sensorielles : la réaction en chaîne mentale est comme momentanément rompue. Le retrait des sens, est une étape avancée du Yoga : il conduit vers l’état de concentration le plus profond.
On comprend aisément qu’un excès de Vata (Air) disperse, rend instable, sensible et fatigable. Vata a la propension à «courir dans tous les sens», d’un désir à l’autre… perpétuellement insatisfait ! Garder les yeux fermés apaise radicalement Vata. Cela équivaut à une prise de recul par rapport aux nourritures extérieures, c’est en quelque sorte un jeûne des sens.
Le Yoga part du principe qu’il y a quelque chose de plus essentiel, de plus captivant, qui émerge à l’intérieur, quand tous les sens et le mental sont au repos. Les techniques de Yoga menant à Pratyahara proposent de goûter et d’expérimenter ce quelque chose. Pendant le cours les yeux bandés, à défaut de voir, on ressent et on écoute. C’est une pratique intérieure, dans la pleine présence aux postures et au souffle… Le mental devient accessoire.
Le cours du Yoga Festival était une première approche de Pratyahara: dans le noir, nous avons habité l’espace intérieur et exploré sa vastitude dans des postures en mouvement, puis statiques. Nous avons chanté des sons dans certaines postures. Puis nous avons écouté le silence, qui émerge, quand tout devient paisible.
Pratyahara, c’est tout d’abord une démarche concrète, faite d’exercices, parfois satisfaisants, parfois un peu arides, répétés inlassablement. La maîtrise des exercices aboutit progressivement sur une expérience profonde, fructueuse et nourrissante, qui se grave sur le grand disque des mémoires. Vient alors le goût pour Pratyahara, puis la méditation. Vient un temps où l’expérience intérieure se fait naturelle et dégage un parfum d’essentiel.
Ainsi, à la lumière de l’Ayurveda, le cycle des saisons peut guider l’exploration du Yoga.
Namaste
Michèle Lefèvre
Les yeux fermés— Voilà encore une piste intéressante à explorer!
Merci, Michèle.
Même si je sais que c’est une des 8 étapes selon Patanjali, je ne connais pas bien Pratyahara du tout (hm, c’est un euphémisme) : s’agit-il d’un état que l’on peut atteindre potentiellement dans tout exercice par l’intériorisation de sa pratique ou bien y a-t-il des exercices spécifiquement destinés à approcher ce « retrait » des sens (et auxquels vous feriez référence en écrivant « c’est tout d’abord une démarche concrète, faite d’exercices, parfois satisfaisants, parfois un peu arides, répétés inlassablement. »)?
S’il s’agit d’un ensemble d’exercices spécifiques, pourriez-vous y consacrez un article, ou donner les coordonnées d’un ouvrage en français ou en anglais les décrivant, s’il vous plaît?
Merci merci
Sibylle
Bonjour Michèle,
Encore un article fort intéressant. Envisages tu un second volet pour nous proposer un exemple de séance les yeux fermés ou qui stimule pratyahra?
Merci d’avance,
Taïa
Bonjour Michèle,
J’ai un très bon souvenir de ce cours les yeux bandés lors du stage yoga / ayurveda lié aux saisons. C’est aussi une belle expérience d’abandon et de confiance en la personne qui guide la séance.
Je profite de ce commentaire pour saluer également Mark !
A bientôt
Christophe
Bonjour Michèle,
merci pour cet excellent article sur Vata et sur Pratyahara tu en parles tellement bien !
Il me semble que le printemps augmente aussi vata non ?
Je t’embrasse,
Anne.
Bonjour Sibylle,
Pratyahara peut en effet être exercé dans toute pratique par l’intériorisation.
A ce sujet, voici ce qui est dit dans l’Isha Upanishad :
Martine Buttex écrit encore ceci :
Accumuler des techniques n’est pas une nécessité.
En se concentrant sur une ou quelques pratiques, on habituera le mental à cet état différent de retrait des sens… Ce peut être:
– La pratique de Tratak
– L’écoute des sons intérieurs
– La pratique régulière de la méditation, voire de méditations spécifiques (voir ci-dessous).
Voilà déjà un joli programme…
Les Upanishad sont une source d’inspiration en matière de Prathyahara.
Un excellent livre d’initiation aux exercices de Prathyahara est «Méditations tantriques» de Swami Satyananda.
Bonne pratique !
Namaste
Bonjour Taïa,
Pourquoi pas?
Ce ne sera pas pour tout de suite, mais je me note ceci dans les idées pour de prochains articles…
Bonjour Christophe,
Oui, c’est vrai, une séance les yeux bandés demande de faire confiance… et d’être très à l’écoute. Un réel exercice de présence qui instille une concentration naturelle.
J’espère que toi et Isabelle allez au mieux.
Namaste!
Michèle
PS: Je transmets à Marc
Bonjour Anne,
Vata peut donner l’impression de s’activer. Mais ne serait-ce pas plutôt Pitta qui commence à se révéler, s’activer un peu, dès le début de printemps (l’augmentation de Vata et Pitta peuvent parfois se confondre…)
Voici un petit tableau, dont je ne vous ai pas parlé pendant le stage, et qui pourrait t’intéresser (il n’est pas issu du même enseignement que j’ai reçu, mais je le trouve assez pertinent) :
Bon week-end à toi
Michèle
Merci, Michèle!
Oui, Tratak pour le regard, et l’écoute des sons intérieurs pour le sens de l’ouïe. De très bonnes idées, merci.
Je n’ai encore jamais approché les Upanishad. Les extraits que vous citez me font penser aux instructions/directions données dans la pratique de la méditation bouddhiste de base (samatha — http://en.wikipedia.org/wiki/Samatha).
Sibylle
Une expérience qui donne envie 🙂
En effet, c’est une expérience très relaxante pour le mental.