Ajna, Chakra de commande (3ème œil)

Article écrit pour l’Abonnement mensuel « Yogamrita chez Soi »

Voici le sixième dossier dédié aux Cakra ou centres d’énergie.

« Commandement »… ou « Non Connaissance » ?

Ajna Cakra a pour couleur le bleu indigo, ou bleu nuit. On dit souvent qu’Ājñā signifie : «commandement, pouvoir, autorité, contrôle, perception ou prise de conscience». Or, en fait, ce mot est composé du « a » privatif (qui signifie « non) et « jnana » qui signifie « connaissance ». Ainsi, « Ajna », selon Swami Saradananda, est un lieu de « non-connaissance »… alors que, paradoxalement, pour nous, c’est le siège du mental et de l’intellect, et donc une forme de connaissance. 

Alors pourquoi ce nom ? Voici une explication. Les yogis distinguent d’un côté, la connaissance limitée ou intellectuelle, qui émane de la pensée, et par conséquent, de notre identification à un monde duel (et illusoire, selon eux) … et de l’autre côté, la « connaissance directe » ou « vraie », qui implique de lâcher le mental… et donc de  le transcender radicalement… et de laisser de côté tout ce que nous comprenons de la « Réalité » et du « Monde » … La conséquence de ce grand chambardement ouvrirait la porte sur un état de Conscience élargi, qui serait « Pure Existence », « Pure Connaissance (ou Connaissance Vraie) » et « Pure Félicité » (en sanskrit, « Sat Chid Ananda »)  !

Ajna est aussi en ce lieu de dualité que commence le voyage de la conscience vers le Un…

En Ajna Cakra, on dit qu’il n’existe plus aucun des cinq éléments, aucun des cinq sens de perception, ni aucun des cinq sens d’action sur le monde… mais on y trouve la substance mentale… une « grosse » machine qui « commande », car il traite les informations reçues par les 5 sens, analyse avec l’Intellect, déduit puis décide, pour que le corps puisse ensuite agir sur le monde extérieur, via les cinq sens d’actions. Le Mental tient donc, de fait, le rôle du chef d’orchestre… Il est le Cakra de commande du corps subtil, mais aussi du système nerveux central.

Connaissance

Et maintenant, regardons le mot « connaître ». Il signifie étymologiquement  « naître avec ». Ici, il s’agit, selon les sagesses indiennes, de « renaître » à un état de conscience oublié, dans lequel « Je » fait Un avec le « Tout »… Ainsi, la connaissance vraie, c’est une naissance à l’État d’Unité… l’état du « Monos », du « Un ». 

« Monos » a donné, dans la langue française, les mots « moine » et « monacal »… Il s’agit d’une forme d’éveil à la conscience spirituelle, dans toute sa vastitude… mais aussi d’une forme d’isolement du monde, dans sa dimension « mondaine ». Le yogi se transforme radicalement, se détache des besoins et des désirs du corps et du mental, pour se tourner, de plus en plus, vers l’intériorité, la méditation, la contemplation, au détriment de l’expérience sensorielle du monde. Nous sommes ici au coeur d’une vision plus philosophique du yoga, dans une dimension hautement spirituelle.

Influences psychologiques d’Ajna Cakra

On dit que la puissance de la pensée rend la matérialisation de la chose pensée possible. Elle est le germe de toute force de création. Le mental et la pensée influent profondément sur le corps physique, le cheminement spirituel… et la qualité de vie.

Ajna régit non seulement l’intellect, la rationalité, le discernement, mais aussi l’intelligence émotionnelle et la sagesse. A ce niveau, la pensée abstraite et les symboles sont pleinement intégrés aux capacités de compréhension. 

Ajna ouvre sur une forme de vision intérieure qui procure la force mentale et la volonté. C’est aussi une porte vers l’intuition, au-delà même du rationnel… en Ajna, on retrouve nos « antennes ».

Ajna correspond à l’âge de 36 ans et au-delà. C’est l’âge de la maturité,  âge auquel la psyché s’est construite, au gré des expériences accumulées, de l’apprentissage et de la mise en place de réactions adaptées aux évènements. Une fois intégrées, ces réactions tendent à se répéter et même à devenir automatiques. Nous croyons souvent penser… alors que nous mettons simplement en place des réponses réactives, automatiques. Nous vivons essentiellement en mode « pilotage automatique »… ou « service minimum ». C’est souvent très utile… mais c’est aussi un écueil, source de nombreux conditionnements et préjugés.

Ardhanarishvara, déité tantrique résidant en Ajna

A défaut de pouvoir approfondir le sujet dans le cadre de cette brève introduction, rappelons juste ceci : au niveau d’Ajna Cakra réside la déité hindoue (et tantrique) « Ardhanarishvara ». Elle représente la fusion du Divin, à la fois mâle et femelle, avec : Shiva (le masculin), à droite, et Shakti (le féminin), à gauche. Ces deux pôles sexués coexistent en chacun de nous, quelque soit notre sexe de naissance, et il convient de les conscientiser, et de les intégrer, pour trouver la paix profonde. Cette paire d’opposés se retrouve aussi sur le plan énergétique : Shiva, dans la Nadi de Droite (Pingala) et Shakti (ou Parvati) dans la Nadi de Gauche (Ida).  Les pôles masculin et féminin symbolisent la Dualité et la possibilité de l’ouverture d’une porte vers l’expérience de l’Unité, au-delà d’Ajna.

Union des trois Nadi

C’est en Ajna Cakra que s’effectue le travail d’harmonisation des  trois Nadi principales (Ida, Pingala et Sushumna). 

En Ajna s’effectue une transformation profonde vers l’état intérieur non-duel, au-delà de l’égo. C’est ici que s’effectue la bascule de la transformation spirituelle. L’attrait pour les plans supérieurs est désormais irrépressible. Le yogi  aspire de tout son être à connecter à l’Univers et ses lois, au Divin . Dans la tradition, Ajna Cakra correspond à « Tapa Loka », le plan de l’austérité (ou ascèse). 

C’est en Ajna Cakra que Pingala, qui représente le principe masculin Shiva (expression de la Pure Conscience omniprésente), s’unit à Ida, qui représente la Shakti (Nature, Manifestation, ou encre Pure Energie). L’expérience d’Union de ces Deux est une plongée dans l’Amour, avec un grand « A », de nature spirituelle : c’est l’accomplissement de l’état que nous nommons « Yoga ».

En ce lieu d’Ajna Cakra, les Nadi de Droite et de Gauche fusionnent au centre avec Sushumna (le canal énergétique central), de façon définitive, et ce, jusqu’au sommet de la tête. C’est la fin du monde des opposés, du monde duel…

Rudra Granthi, le nœud de Shiva

Ajna est le siège du dernier des trois verrous, Granthi, nœuds ou blocages d’énergie, que rencontrent les yogis sur le chemin de la réalisation ultime. 

Dans l’enveloppe d’énergie (Pranamaya Kosha), les Nadi et les Cakra sont interdépendants. Quand leur réseau est purifié, Kundalini, l’énergie potentielle immense qui réside en chacun, se réveille et remonte le long de Sushumna. 

Lorsqu’elle rencontre un Cakra, elle le perce et le fait vibrer. Sur ce chemin vertical en notre centre intérieur, elle rencontre successivement trois nœuds ou Granthi, qui correspondent, selon la tradition aux trois aspects de la Trimurti (du Divin). Ce sont Brahma, Vishnu et Rudra (ou Shiva) Granthi. On dit que ce sont des nœuds très profonds, qui nous relient à notre nature humaine. Ils sont de nature psycho-énergétique et correspondent à :

• à l’attachement à la vie (1), en Muladhara Cakra, avec Brahma Granthi,
• à l’attachement à l’ego (2), en Anahata Cakra, avec Vishnu Granthi et, enfin… 
• à l’attachement à l’intellect, au « vouloir comprendre » (3) en Ajna Cakra, avec Rudra Granthi.

Méditation profonde en Ajna Cakra

Svatmarama, l’auteur de la Hatha Yoga Pradipika écrit : «La méthode la plus rapide pour obtenir l’ «Unmani»* est à mon sens la méditation sur l’espace entre les sourcils ; c’est pour les esprits faibles le moyen le plus aisé d’atteindre le niveau du Raja-Yoga. L’absorption causée par le Nada se produit immédiatement, procurant une expérience convaincante. » HYP chapitre IV.80

* « Unmani » signifie non mental, pacification, sortie de la dimension mentale.

Au vu de tout ce qui a été dit, nous comprenons bien que la pratique essentielle pour Ajna Cakra, c’est, encore une fois, et plus que toujours, la méditation…

Pour s’intérioriser en Ajna, l’essentiel sera de chercher le calme mental. Pour cela, il « suffira » de rester pleinement attentif, présent, concentré, … et parfaitement détendu. Or, développer une totale concentration, sans engendrer la moindre tension, c’est tout un art ! 

Le Bhavana (la qualité, le point d’orgue) de la pratique sera l’attitude du « Drashtar », le Témoin. Le Drashtar est totalement présent, conscient, mais non impliqué égotiquement, et de ce fait émotionnellement parlant : il est simplement l’observateur.   

Dans certaines traditions, il est dit que le travail d’entraînement  yogique doit commencer en Muladhara c’est-à-dire le premier Cakra. 

Mais souvent aussi, j’ai entendu que cet entraînement est inutile, voire même dangereux, s’il ne se marie pas simultanément au travail sur Ajna. 

On comprend aisément, que le développement de la clarté mentale est indispensable pour entamer le cheminement vers la connaissance profonde de soi et l’éveil de l’énergie fondamentale qui réside en Muladhara.  L’exercice du discernement exige d’être à la fois posé, patient et attentif. Cette étape permet de diminuer la peur. 

Pratique du Yoga

Dans une pratique de yoga pour Ajna Cakra, il pourrait y avoir moins de postures, plus de Pranayama, et donc plus d’intériorité, de lenteur, de silences, d’assise…

Pratiques engageant de près ou de loin le sens de la vue

Il existe un lien direct entre la vision et la pensée : on dit « je vois » pour signifier « je comprends », on parle aussi de « clarté mentale », associant ainsi vision claire et  compréhension.  

Orienter une pratique vers Ajna Cakra, c’est développer la qualité d’attention. En ce sens, si la pratique comprend de nombreux Asana, il sera intéressant d’ajouter des facteurs de concentration, pendant la prise des différentes postures, comme par exemple un Drishti ou un Marmasthana adapté. Il s’agit de l’orientation du Regard, qu’il soit physique (regard tourné vers le point entre les sourcils (Bruhmaddya), le bout du nez (Nasagra), droit devant soi (Taraka)), ou psychique (« Regard intérieur » orienté vers une région du corps, comme la gorge, le coeur, le nombril, le périnée, …).

La pratique du Yoga des Yeux est simple, mais elle développe une grande qualité d’attention. 

D’autres pratiques visuelles du yoga sont intéressantes. Citons notamment : 

• Tratak
  
• Yantra Yoga
  

Je pense aussi par exemple aux Maha Bhuta Mandala Pranayama, qui ont été présentés sur le blog.

Pratique posturale

Parmi toutes les postures, premièrement, pratiquer celles qui stimulent Prana Vayu, et donc celles qui augmentent le niveau d’énergie global : 

• Pranayama
  
• Inversions, extensions/flexions, étirement latéraux

et celles qui stimulent Udana Vayu, l’énergie d’expression, qui est aussi la force de verticalisation, l’élévation tant physique, qu’énergétique : 

• Pratiquer les bras levés
  
• Chanter
  
• Postures d’inversion

Ainsi, les postures inversées renforce à la fois Prana et Udana. Privilégier les postures inversées telles que : Sirsasana (posture sur la tête), Kapalasana (posture du crâne ou  trépied). Penser aussi à Sarvangasana (posture sur les épaules), Halasana (charrue), Setu Bandhasana (pont lié), Dvipada Pittam (pupitre), ou encore Utthita Uttanasana (flexion avant debout).

La pratique de Mula Bandha fait remonter l’ énergie vers Ajna Cakra.

Balasana (enfant) ou Guru Pranam (salut au maître) sont de jolies postures pour « mettre à terre » le mental.

Equilibration des hémisphères cérébraux (et Ida/Pingala) grâce aux pratiques en asymétrie : postures asymétriques, telles que Garudasana, par exemple, les respirations alternée, les visualisations gauche/droite. 

… Sans oublier, « last but not least »… les postures d’assise méditatives : Siddhasana,  Vajrasana, Sukhasana, Padmasana, etc.

… Et les postures d’équilibre: Garudasana (aigle), Vrksasana (arbre), Natarajasana (Shiva dansant), etc.

Quelques Pranayama :

• Kapalabhati signifie « crâne qui brille »… voilà donc un souffle qui nous intéresse ! 😉 
• Les respirations alternées Nadi Shodhana (sans rétention 8:0:8:0 ou 6:0:12:0 ) ou Anuloma Viloma (avec rétention 4:16:8:0) équilibrent Ida et Pingala, calment le système nerveux et le mental, conduisant naturellement à un état concentré.
• Nadi Shodhana non digital (sans boucher les narines). On vient déplacer la conscience vers une narine, puis l’autre, comme pour expirer/inspirer sur un côté, puis  expirer/inspirer sur l’autre côté. Le déplacement alterné de l’attention vers la sensation tactile dans « la narine qui respire » fonctionne étonnamment bien et procure le calme. La longueur de l’expire et de l’inspire sont identiques (Sama Vritti). Le souffle est très subtil et silencieux. On peut, si on le souhaite, ajouter la Mudra Hakini (voir sous « Hasta Mudra) à cette pratique.

Pour ajouter une dimension méditative à la pratique, on pourrait utiliser plus de Hasta Mudra (sceaux ou gestes des mains). Ajna Cakra, en sa qualité de « centre de commandement »  est notamment en lien avec le système nerveux central. Les mains possèdent de nombreuses terminaisons nerveuses. Les différentes Hasta Mudra viennent induire une énergie spécifique et favorisent la concentration. Il existe plusieurs Hasta Mudra favorables pour déployer la conscience d’Ajna Cakra. En voici quelques unes, pour ne citer qu’elles : 

• Jnana et Cin Mudra (sceau de la connaissance et de la conscience)
• Ajna Cakra Mudra (sceau du lotus de commande)
• Ida Mudra (sceau d’Ida)
• Pingala Mudra (sceau de Pingala)
• Shakata Mudra (sceau du Véhicule)
• Buchari Mudra (sceau de Buchari)
• Kali Mudra (sceau de Kali)
• Trishula Mudra (sceau du Trident)
• …

Le lotus d’Ajna comporte seulement deux pétales : un à droite, avec le Bija « Ham », masculin, solaire, correspondant à Shiva et à Pingala, et un à gauche, avec le Bija « Ksham », féminin, lunaire, correspondant à Shakti et à Ida. Ces Bija peuvent être chantés, chuchotés ou prononcés mentalement. 

Pour reprendre l’exercice de respiration proposé plus haut (respiration alternée non digitale), on peut ajouter la répétition mentale : 

• expire/inspire à droite avec le Bija « Ham »
• expire/inspire à gauche avec le Bija «Ksham»

« Ham » révèlerait la Pure Conscience, tandis que « Ksham » purifierait nos tendances négatives, ou Vasana. 

Le son principal ou « véhicule » du sixième Cakra, se trouve au centre et c’est le BIja « Om », chanté ou répété mentalement au point entre les sourcil. Il est le «Pranava», celui qui contrôle la force de vie (prana), celui qui donne la vie,  ou encore l’ «Adi Bija», le Bija originel de la Manifestation, le son primordial, le Logos. 

Le Om (ou Aum) reflète le Brahman dans ses 3 aspects : 

• « A » : Brahma, le créateur, qui correspond aussi à l’état de veille
• «U» : Vishnu, le préservateur, qui correspond à l’état de rêve
• «M» : Shiva, l’initiateur de la dissolution, qui correspond à l’état de sommeil profond.

Le Mantra long d’Ajna est :
Oṃ ājñā cakrāmbuja nilayāyai namaḥ
Salutations à la Śakti qui demeure en Ajna Cakra.

Autres pratiques en lien avec le son, pour Ajna : 

• Nada Anusandhana, l’écoute du son intérieur
• Japa Yoga, la répétition de Mantra : à haute voix, ou mieux, mentalement. Equilibre les espaces du coeur et d’Ajna.
• Raja Yoga, la méditation
• Jnana Yoga, yoga de la connaissance.

A propos du Tilak et du troisième œil

Le Tilak symbolise le troisième œil de Shiva. Il se positionne sur le front, à l’emplacement du sixième Cakra. Il souligne la dimension spirituelle de celui qui le porte. Il est une marque religieuse hindoue. Dans le nord de l’Inde, il indique qu’une femme est mariée. 

Jnana chakshus  signifie « œil de la connaissance », c’est le fameux « troisième oeil ». 

Souvent, on le relie à la glande pinéale. Le troisième œil désigne le regard intérieur, qui va au-delà des yeux physiques : c’est le regard de la connaissance de soi.