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L’année 2015 a commencé de façon dramatique à Paris. Et puis, il y a eu cette grande marche républicaine… J’ai pensé à tout cela et j’aurais voulu le partager sur le blog.

Trop prise par la préparation de la formation de professeurs de yoga, et n’ayant pas pu le faire moi-même, j’aimerais vous partager ce texte de Claire Dagnaux. J’ai connu Claire… en Inde, en septembre dernier.

Je vous souhaite bonne lecture…

yamuna vrindavan aube

Je suis Charlie, La grande marche d’identité

Ce que m’inspirent les évènements récents …

Le 11 janvier, près de 4 millions de personnes étaient rassemblées en France, portées par slogan étonnant : je suis Charlie, décliné sous de multiples variables : je suis juif, je suis musulman, policier, républicain…

Ce slogan m’a interpellée parce qu’il fait écho à de nombreux enseignements entendus en Inde et au questionnement propre de l’Inde : Qui suis- je ?

C’est aussi la question de notre temps. La question fondamentale de l’homme : Qui suis-je ?

Tout cela me fait penser que nous sommes aux portes d’une prise de conscience majeure…

Quel chemin allons-nous prendre ?

***

Je suis Charlie, qu’est-ce que ça veut dire ?

Je suis Charlie, c’est-à-dire : je me sens proche, j’adhère aux valeurs de Charlie Hebdo.

Affirmer Je suis Charlie, c’est signifier son appartenance au groupe de tous ceux qui revendiquent les valeurs de Charlie Hebdo : la liberté d’expression, la liberté de la presse, une liberté de ton, la République, la laïcité à la française etc. (Chacun pourra mettre dans ce grand sac, les valeurs qu’il voudra.)

Autrement dit, je m’identifie à Charlie Hebdo, je m’identifie à la liberté d’expression et tout le reste. Je me définis comme appartenant au groupe qui partage et qui défend ce système de croyances… cette branche-là. Je revendique mon idéal. Je revendique ces valeurs comme étant miennes, comme faisant partie de moi : « Je suis La liberté d’expression ». « Je veux être la liberté d’expression »…

Du coup, je souffre et je proteste quand la liberté d’expression (et tout le reste) est bafouée, empêchée, massacrée… Je souffre quand mon système de croyance souffre. Je me sens personnellement atteint puisque c’est mon idéal, ce que je suis, ce que je veux être. Je suis unie à tous ceux qui partagent ces valeurs, Je compatis.

Ça me donne un grand sentiment d’unité et d’appartenance, et c’est bon de le sentir.

NB : j’ai lu quelque part un décodage sémantique des évènements : Char vient de la racine cœur (charité, charisme…) et lie (lien, relier…) ; Je suis Charlie : je suis ce qui relie les cœurs  !! Pourquoi pas !? C’est ce qui s’est produit dans une certaine mesure lors de ces rassemblements sans précédents !

***

Mais regardons de plus près :

En même temps, quand j’affirme mon appartenance à « Ma branche », cela me sépare, automatiquement et implicitement, de tous ceux qui ne sont pas assis sur la même branche !

Quand je dis : «  je suis chrétien », je me relie à tous les autres chrétiens, mais j’affirme aussi ma différence avec tous les non-chrétiens ; je souligne la séparation : je ne suis pas juif ou musulman par exemple.

Et quand je dis « je suis Charlie », je m’unis à tous les autres Charlie, mais je renforce en même temps le fossé et la frontière qui me sépare de ceux qui ne sont pas Charlie.

« Je suis Charlie, chrétien, juif ou musulman »… donne inexorablement de la force à tous ceux qui ne sont pas Charlie, chrétiens, juifs ou musulmans. En affirmant mon identité collective, je renforce l’identité collective de l’autre !

L’identification à toute appartenance collective, crée des barrières qu’il me faut défendre (mais aussi étendre) pour rester en sécurité.

Revendiquer une identité collective, une branche – quelle qu’elle soit- est donc, intrinsèquement, un facteur de discordes et de divisions. L’identification à un idéal collectif est forcément porteuse de violences.

Et le niveau de violence dépend directement du degré d’identification.

(…De fait, les Anti-Charlie  n’ont pas manqué – et vont continuer- de réaffirmer aussitôt leurs valeurs, leur identité, leur branche.)

Alors, où est l’unité ? Où est la concorde ?

En affirmant ma séparation, mon éloignement, ma différence avec tous ceux qui ne sont pas Charlie, est-ce que j’œuvre réellement à la Paix dans le monde, à l’harmonie entre les hommes ?

***

Qu’est-ce que tout cela nous dit ?

Cela nous dit clairement où nous en sommes :

Nous en sommes au stade de l’identification à des idéaux collectifs. C’est ce que nous pouvons appeler le niveau de la conscience collective. Nous sommes assis sur des branches, plus ou moins grandes, et nous nous tenons plus ou moins fort à nos branches : nous sommes parfois accrochés et collés dessus au point de ne plus avoir la moindre capacité de recul, d’autocritique ni d’humour.

Plus nous sommes attachés, plus nous allons dépenser une énergie considérable pour défendre et protéger « notre branche » des attaques et des menaces possibles des « autres branches ».

(En même temps, si nous pouvions élargir un peu notre branche, ça irait beaucoup mieux !)

A ce niveau, pas d’union possible, pas de paix ni d’harmonisation possible.

Toutes les guerres, de religions et autres, se situent à ce niveau de conscience collective.

« Ma branche » est plus forte et plus valable que « Ta branche »…  « C’est Ma branche qui détient la vérité »… « Ma branche, pas la tienne ! »

A ce niveau, on ne s’en sortira pas.

Dommage !

***

Alors que faire ?

Il faut essayer de monter d’un cran ! Sortir de la conscience collective où s’affrontent et se défendent les systèmes de croyances, les idéaux, dans des guerres ravageuses et épuisantes. Il faut essayer d’élargir nos horizons et entrer dans une conscience plus universelle.

Nous avons besoin de nos croyances pour exister et nous ne sommes pas toujours capables de les remettre en cause, c’est un fait. Par contre, nous pouvons desserrer notre façon de nous y accrocher. Donner du lest aux opinions que nous tenons si solidement, ça c’est en notre pouvoir. Nous pouvons cesser de nous identifier comme des dingues à nos systèmes de croyances. (Même si nos valeurs sont les plus hautes, c’est certain… mais ceux d’en face en sont tout aussi convaincus quant-aux leurs !)

Comment ?

En comprenant que nous ne sommes pas nos étiquettes ! Nous en avons seulement besoin pour fonctionner ensemble. Nous avons besoin d’appartenances : religieuse, politique, culturelle, ethnique… Mais ce n’est pas ce que nous sommes !

Et qu’est-ce que nous sommes ?                                                                                                                          Bien plus que cela.

***

La valse des étiquettes.

Il n’aura échappé à personne que, pendant ces manifs, les gens ne se sont pas arc- boutés sur une seule appartenance (je suis Charlie et j’y crois dur comme fer, au point de massacrer tout le monde si on attaque mon idéal ! (« touche pas à mon idéal ! »).

Non, les français (et d’autres aussi), ont fait l’expérience de ce que j’appellerai « la valse des étiquettes », la possibilité de changer d’appartenance, de s’identifier tour à tour à Charlie, aux juifs, aux musulmans, etc.… C’est devenu même une sorte de jeu national : A qui trouvera une nouvelle façon de se définir. Les médias ont amplement relayé le phénomène et nous avons été tour à tour et en même temps : « Charlie, juif, musulman, policier, athée, chrétien, français, unis, tolérant, libre, flic, Kurde, la liberté, la démocratie, la justice, Voltaire, Rabelais, l’Ahmi Charled, Clarissa…

Pouvoir changer d’identité, d’appartenance, au gré de notre créativité, de nos humeurs et de notre douleur a donné de la souplesse, de la légèreté à cette gigantesque marche non pas de protestation mais d’identité.

En changeant d’étiquette, j’ouvre la possibilité à d’autres points de vue d’exister. J’apprivoise l’altérité, la différence, la diversité. J’ « en-visage » l’autre qui ne partage pas toujours mes valeurs ni mes croyances. Je lui donne un visage, et même Mon visage…

Quand je lâche un peu mes idées d’appartenance, mon système de croyance, ça respire !!

Et je deviens capable de jouer avec les branches et les étiquettes. Je peux sauter de branche en branche, jongler de définition en définition. Valser d’étiquette en étiquette, Je suis libre des étiquettes !

Je me rapproche des autres, j‘abats les barrières et les frontières qui m’en séparent, je me relie Charlie !

Ça, c’est très positif. C’est énorme. C’est la beauté de la chose ….

Tout le travail et l’esprit de Charlie Hebdo consiste précisément à tourner en dérision les croyances rigides, et à se moquer des étiquettes… Mais surtout, surtout, de tous ceux qui les tiennent si fort et si serrées !

… Ceux-là mêmes qui se sont sentis gravement menacés (dans leur identité) et ont attaqué, avec une violence inouïe, cet esprit de liberté.

***

Peut-être cela va-t-il servir à quelque chose ?

Peut-être pourrons nous prendre conscience collectivement, à grande échelle et en miroir, de l’aberration de tenir aussi serré des opinions… de simples opinions ! (Quelles que soient ces opinions : les nôtres, les leurs, toutes les opinions.)

Le choc et la violence des attentats de la semaine dernière nous posent la question de notre identité. Ils ont peut-être réussis à arracher nos étiquettes.

Mais allons-nous nous dépêcher d’en recoller de nouvelles ou de vieilles ? Allons-nous nous précipiter vers des valeurs communes et nous y agripper comme des noyés à leur bouée ?

Faire l’expérience de l’union républicaine, nous réunir autour de valeurs communes qui nous fédèrent, comme la liberté d’expression, la liberté de la presse, c’est bon, ça fait du bien, c’est utile et nécessaire.

Nous allons probablement entrer dans une ère de débats, de discussions. Les échanges vont être certainement passionnants. Ceux qui, en France, se sentent exclus de ces grandes valeurs vont aussi pouvoir dire leur mot, leur ressentiment, leur colère ; ils vont pouvoir exprimer leur désir de rejoindre la branche ou de s’en séparer.

Mais rappelons-nous que l’appartenance collective n’est pas un but en soi et qu’elle a son revers. Ceux qui ne revendiquent pas nos valeurs républicaines et laïques auront besoin de défendre leurs croyances. Il faudra donc assumer et se préparer à la riposte. Elle est inévitable.

Elle n’est pas forcément négative.

Bien comprise, elle peut nous amener à voir les limites, les failles et les faiblesses des branches sur lesquelles nous sommes assis.

Mais surtout, la riposte peut nous faire sentir avec quelle force nous sommes aussi cramponnés à nos branches, à nos identités de groupe, à nos concepts et à nos idéaux collectifs.

Alors où en sommes-nous ?… A quoi sommes-nous identifiés et à quel degré ?

Nous pouvons y réfléchir…

Et cela peut nous amener à quitter des branches devenues trop étroites et nous mettre en quête d’autres branches plus solides. Plus universelles.

… Et si d’un coup, j’avais l’intuition que je n’étais pas telle ou telle branche, telle ou telle étiquette, telle ou telle définition ?! D’accord j’utilise des étiquettes, j’adopte des croyances, par ce que cet utile pour fonctionner en société. Mais je ne suis pas mon étiquette ! (Et l’autre en face non plus, d’ailleurs…)

… Mais d’ailleurs, si je n’ai plus d’étiquette, est-ce qu’il y encore un autre en face ? …

… Et si je décidais de ne plus me coller d’étiquette du tout par ce que c’est forcément limité et limitant et que cela maintient le sens de la séparation ?…

Je ne suis pas ceci ou cela

Je ne suis pas Charlie ou Charla.

Je suis bien plus que ça !

Je ne suis pas telle ou telle branche mais je suis l’arbre tout entier !

Je suis toute l’humanité, toute la création…

Je suis !!!

***

Nous sommes aux portes d’une prise de conscience majeure…

Certains vont pouvoir lâcher du lest, d’autres vont rester cramponnés à leur branche encore un petit moment… C’est la vie !

Claire Dagnaux

Claire Dagnaux coordonne les activités et la communication de l’association « Les Chemins de Shanti », organise et accompagne les rencontres en Inde. Elle traduit les intervenants sur place ou en France.

chemins de shanti

A propos des Chemins de Shanti

La démarche des Chemins de Shanti est de favoriser la rencontre des spiritualités… au-delà des religions.

Nous créons des passerelles entre les traditions.

Nous favorisons l’accès à l’Inde en allant à la rencontre des sages d’aujourd’hui. Ils témoignent d’une spiritualité sans frontières et nous invitent au voyage intérieur. Nous les faisons venir en France et diffusons leur message d’Unité.

Le site des Chemins de Shanti : https://www.cheminsdeshanti.com

Michèle Lefèvre Granclément

Le Yoga m'accompagne au quotidien depuis longtemps et je le transmets depuis 1991. La méditation et la pratique des différents aspects du Yoga Intégral, les rencontres sur le chemin, et l'étude des textes sacrés / philosophiques, sont mes sources d’inspiration. L'amour de la Nature et l'approche holistique de la santé, depuis l'enfance, m'ont conduite à mettre en pratique conjointement les sagesses de l'Ayurveda et du Yoga, puis à étudier leurs synergies. La Joie et l'évidence de la transmission de ces voies sœurs découlent de cette expérience de Vie.

10 Comments

  • Magniifique et tellement juste

    Ca fait du bien de lire un article sur ce sujet qui soit aussi lumineux, et qui remette les idées au clair

    merci

  • Pinahag dit :

    Oui, merci pour ce texte d’une limpidité et d’une générosité, « je suis l’arbre tout entier… » Je suis.

  • claire dit :

    Merci Eve Anne d’avoir reçu et relayé mon texte d’une si belle façon. CLaire

  • Dominique dit :

    Merci pour ce réalignement vertical , même si parfois il est nécessaire de porter une étiquette horizontale (ex: passeport) et les deux sont nécessaires, je pense qu’il nous appartient de choisir le sens de notre alignement personnel selon le contexte et les circonstances.
    Bien sincèrement,

  • Wahou que dire après ça?… Tout est dit, et d’une si belle manière. Merci pour ce partage, le monde a bien besoin de reflexion comme celle-ci.

  • Hawawini Robert dit :

    Bonjour Michèle,

    J’ouvre votre site par un hasard déterminé et j’approuve votre réflexion. S’il n’y a ni je ni autre, aucun slogan n’a de valeur universelle, la seule qui fait grâce à mes yeux, à nos, vos, yeux ; ça y est, c’est repartit. Et avant, déjà, je-approuve, votre-réflexion ! Le langage est bien difficile, n’est-ce pas ?
    Dans ces immenses rassemblement collectifs « contre », il y a autant d’ombre que dans la raison pour laquelle on se réunit. Habituellement, disons, en conversation privée, je préfère le mot ténèbres ; mais je ne sais pas comment les autres peuvent réagir à un mot aussi extrême.

    Je crois surtout que quand on a traversé les extrêmes, on n’a plus peur des mots, mais on reste conscient de l’impact qu’ils peuvent avoir sur les autres. On, les autres…

    Amitiés.

  • Michele dit :

    Merci Robert.
    Le texte était de Claire Dagnaux. Je n’avais pas eu le temps en janvier d’écrire… mais ses mots étaient tellement proches. Alors nous avons convenu que je partage son texte ici.
    J’ai ri à vous lire. C’est vrai qu’il arrive un moment, sur le chemin, où l’on ne sait plus dire « je », « mien », « notre », « votre », « leur », … La propriété n’a plus grand sens: elle est systématiquement réductrice. L’identification est vaine, elle aussi, dans l’absolu.
    Et pourtant, nous baignons dans un monde duel où l’une et l’autre ont court. Ténèbres et lumière s’entremêlent dans d’infinies variations.
    Bien amicalement

  • Robert dit :

    Il se fait Michèle, que je suis en Egypte, mes racines, pour une semaine, comme je le fais tous les ans depuis 29 ans. Depuis 29 ans, je viens en apparence pour retourner chez moi, en profondeur pour chercher quelque chose, sans savoir quoi.
    Voici la conversation que j’ai eue hier avec Karima, ma cuisinière et femme de ménage ; analphabète, inculte ; qui a servie mon père, ma mère et maintenant moi ; que je considère comme ma sœur de cœur.
    Karima : « Avant que tu ne viennes, j’ai vu ta mère en rêve, elle me parlait comme d’habitude. »
    Moi : « Il y avait de la lumière ? »
    Karima : « Oui, il y avait de la lumière partout. »
    Moi : « C’est la lumière incréée, sais-tu ? »
    Karima : « Oui. Elle était dans la lumière. »
    Moi : « On peut espérer qu’elle est passée. »
    Karima : « Elle était tellement bonne, ce n’est pas possible autrement. »
    C’est ce genre de conversation « banale » que j’ai en Egypte.
    Hier seulement, j’ai compris ce que je cherchais. 29 ans d’attente enfin clôturés !

  • Michèle dit :

    C’est beau et fort cet échange…
    Namaste,

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